Bachelard
« Il est des natures qui banalisent les images les plus rares : ils ont toujours des concepts prêts à recevoir les images. D’autres natures, celles des vrais poètes, remettent en vie les images les plus banales : écoutez ! dans le creux même d’un concept, ils font retentir le bruit de la vie. Mais alors les poètes de la platitude se soulèveront et nous diront : nous aussi nous parlons au sens fort, au sens plein, au sens vivant. Et ils étalent les riches images, ils retentissent en de sonores allitérations. Mais toutes ces richesses sont hétéroclites, toutes ces sonorités sont des cliquetis. A toutes ces parures il manque l’être, la constance poétique, la matière même de la beauté, la vérité du mouvement. »
L’Air et les Songes
Balzac
« La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer ! Tu n’es pas un vil copiste, mais un poète ! Autrement un sculpteur serait quitte de tous ses travaux en moulant une femme ! Hé bien ! essaie de mouler la main de ta maîtresse et de la poser devant toi, tu trouveras un horrible cadavre sans aucune ressemblance, et tu seras forcé d’aller trouver le ciseau de l’homme qui, sans te copier exactement, t’en figurera le mouvement et la vie. Nous avons à saisir l’esprit, l’âme, la physionomie des choses et des êtres. Les effets ! les effets ! mais ils sont les accidents de la vie, et non la vie. Une main, puisque j’ai pris cet exemple, une main ne tient pas seulement un corps, elle exprime et continue une pensée qu’il faut saisir et rendre. Ni le peintre, ni le poète, ni le sculpteur ne doivent séparer l’effet de la cause qui sont invinciblement l’un dans l’autre ! La véritable lutte est là ! Beaucoup de peintres triomphent instinctivement sans connaître le thème de l’art. Vous dessinez une femme mais vous ne la voyez pas ! Ce n’est pas ainsi que l’on parvient à forcer l’arcane de la nature. Votre main reproduit, sans que vous y pensiez, le modèle que vous aviez copié chez votre maître. Vous ne descendez pas assez dans l’intimité de la forme, vous ne la poursuivez pas avec assez d’amour et de persévérance dans ses détours et dans ses fuites. La beauté est une chose sévère et difficile qui ne se laisse point atteindre ainsi, il faut attendre des heures, l’épier, la presser et l’enlacer étroitement pour la forcer à se rendre. »
Le Chef-d’oeuvre inconnu
« Le travail constant est la loi de l’art comme celle de la vie; car l’art, c’est la création idéalisée. Aussi les grands artistes, les poètes complets n’attendent-ils ni les commandes, ni les chalands, ils enfantent aujourd’hui, demain, toujours. Il en résulte cette habitude du labeur, cette perpétuelle connaissance des difficultés qui les maintient en concubinage avec la Muse, avec ses forces créatrices. »
La Cousine Bette
« De grands artistes, tels que Steinbock, dévorés par la rêverie, ont été justement nommés des « Rêveurs ». Ces mangeurs d’opium tombent tous dans la misère; tandis que, maintenus dans l’inflexibilité des circonstances, ils eussent été de grands hommes. Ces demi-artistes sont d’ailleurs charmants, les hommes les aiment et les enivrent de louanges, ils paraissent supérieurs aux véritables artistes taxés de personnalité, de sauvagerie, de rebellion aus lois du monde. Voici pourquoi : les grand hommes appartiennent à leurs oeuvres. Leur détachement de toutes choses, leur dévouement au travail, les constituent égoïstes aux yeux des niais, car on les veut vêtus des mêmes habits que le dandy, accomplissant les évolutions sociales, appelés devoirs du monde. On voudrait les lions de l’Atlas peignés et parfumés comme des bichons de marquise. Ces hommes, qui comptent peu de pairs et qui les rencontrent rarement, tombent dans l’exclusivité de la solitude; ils deviennent inexplicables pour la majorité, composée, comme on le sait, de sots, d’envieux, d’ignorants et de gens superficiels. »
La Cousine Bette
Baudelaire
« Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études;
Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! »
« La Beauté », Les Fleurs du Mal
Bobin
« Le besoin de créer est dans l’âme comme le besoin de manger. »
La Folle Allure
Bourdelle
« Dans la vie d’une sculpture, un plan superficiel est un incident, mais un plan profond est constructif est une destinée… «
Lettre à Auguste Rodin
Brancusi
« La taille directe est la vraie route de la sculpture mais ça n’est pas le bon chemin pour ceux qui ne savent pas marcher. »
« C’est en taillant la pierre que l’on découvre l’esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et unit la pensée à la matière. C’est l’acte même du sculpteur face à un matériau dont la connaissance ne s’apprend que lentement, et réserve toujours un inattendu qu’il faudra résoudre sans pouvoir jamais rien ajouter, par seul retranchement. Il faut tailler et non blesser la pierre, trouver la solution devant l’apparition d’une veine ou d’une tache non prévue : il faut savoir lutter avec la pierre, la caresser, la polir, savoir avec angoisse comme avec joie, faire surgir la forme que l’on porte en soi, mais qu’elle peut aussi nous avoir inspiré selon sa texture, la forme même du bloc que l’on a choisi ou trouvé. »
Camus
« Il n’y a pas un talent de vivre et un autre de créer. Le même suffit aux deux. Et l’on peut être sûr que le talent qui n’a pu produire qu’une œuvre artificielle ne pouvait soutenir qu’une vie frivole. »
Frederick Hartt
« Selon une fable très répandue, Michel-Ange allait droit au marbre sans aucun besoin de modèle préliminaire – il était si profondément pénétré de la forme ! – pour libérer la figure dormant à l’intérieur. C’est à peu près aussi réaliste que de l’imaginer peignant le plafond de la Sixtine couché sur le dos. »
Le David de Michel-Ange, Le Modèle original retrouvé
Horace
« Pour moi, je ne vois pas ce que pourrait l’effort sans une fertile veine, ni le génie sans culture ; l’un a besoin de l’autre, tous deux s’entendent et collaborent. »
« Quand on venait lire des vers à Quintilius Varis : « Je t’en prie, disait-il, fais cette correction, puis cette autre ». Répondais-tu que tu ne pourrais mieux faire, que tu avais trois ou quatre fois essayé en vain, il te disait alors de tout effacer et de remettre sur l’enclume les vers mal venus. Aimais-tu mieux défendre ta faute que de la corriger, il n’ajoutait pas un mot, renonçait à toute insistance inutile, et te laissait t’admirer tout seul et sans rivaux. »
Art poétique
Thomas Mann
« L’exaltation de vie que l’art donne aux choses, il la donne aussi à l’artiste créateur; il lui fait un bonheur qui va plus avant, une flamme qui consume plus vite. Il grave sur la face des fervents le dessin d’aventures intellectuelles, de chimères, et vécussent-ils en la retraite du cloître, à la longue il leur donne à un point rare même chez un viveur, des nerfs affinés, subtils, toujours las et toujours en éveil. »
La Mort à Venise
« Qui pourrait déchiffer l’essence et l’empreinte spéciale d’une âme d’artiste ? Comment analyser le profond amalgame du double instinct de discipline et de license dont sa vocation se compose ! »
La Mort à Venise
Mérimée
« Quoi qu’il en soit, il est impossible de voir quelque chose de plus parfait que le corps de cette Vénus ; rien de plus suave, de plus voluptueux que ses contours ; rien de plus élégant et de plus noble que sa draperie. Je m’attendais à quelque ouvrage du Bas-Empire ; je voyais un chef d’oeuvre du meilleur temps de la statuaire. Ce qui me frappait surtout, c’était l’exquise vérité des formes, en sorte qu’on aurait pu les croire moulées sur nature, si la nature produisait d’aussi charmants modèles. »
La Vénus d’Ille
Yves Michaud
« L’attaque contre l’art contemporain se mène et s’argumente sans exception du point de vue de la capacité de chacun à émettre un jugement esthétique compétent. Elle condamne la prétention inverse à réserver ce jugement aux initiés, aux gens du monde de l’art, à de prétendus experts dont les prononcements sont, au contraire, rapportés à des effets de snobisme voire de terreur organisée par des réseaux d’influence et d’intoxication. »
La crise de l’Art contemporain
« Alexandre Zinoviev, dans les romans où il décrivait le fonctionnement de l’Ivanie soviétique, avait souligné le fait qu’on y est décoré pour avoir été décoré. Dans l’Ivanie de l’art officiel français, on est choisi pour avoir été choisi, exposé pour avoir été exposé, acheté pour avoir été acheté : une fois le premier pas fait, les hommes d’appareil sont rassurés sur des goûts que désormais ils partagent. »
La crise de l’Art contemporain
Michel Ange
« Comme on s’attaque, pour sculpter une femme, à la dure pierre des Alpes d’où l’on tire une figure vivante qui croît d’autant que la pierre diminue. »
« Il y a dans les blocs de marbre des images somptueuses ou fondamentales si tant est que notre génie soit capable de les en arracher »
« Tout ce qu’un grand artiste peut concevoir, le marbre le renferme en son sein; mais il n’y a qu’une main obéissante à la pensée qui puisse l’en faire éclore.
De même tu recèles en toi, beauté fière et divine, et le mal que je fuis et le bien que je cherche ; mais l’effet de mes soins est contraire à mes voeux, et c’est ce qui me donne la mort.
Je n’accuserai donc de mes maux, ni le besoin, ni l’amour, ni tes rigueurs, ni tes dédains, ni le sort, ni tes charmes, quand tu m’offres à la fois dans ton coeur, la mort avec la vie, et que mon génie impuissant ne sait y puiser que la mort. »
Sonnets
Comment se peut-il (et cependant l’expérience l’atteste) qu’une figure, tirée d’un bloc, insensible et brut, ait une plus longue existence que l’homme dont elle fut l’ouvrage et que lui-même au bout d’une brève carrière tombe sous les coups de la mort.
L’effet ici l’emporte sur la cause, et l’art triomphe sur la nature même. Je le sais, moi, parce que la sculpture ne cesse d’être une amie fidèle, tandis que le temps, chaque jour, trompe mes espérances.
Peut-être puis-je ô mon amis, nous assurer à tous les deux un long souvenir dans la mémoire des hommes, en confiant à la toile, ou au marbre nos traits et nos sentiments. Mille ans après nous encore, on saura quel fut mon amour pour toi, on verrra combien tu fus belle et combien j’eus raison de t’aimer.
Sonnets
Modigliani
Modigliani soutenait que la sculpture était devenue très malade avec Rodin et son influence. Il y avait trop de modelage en glaise, trop de « gadoue ». Le seul moyen de sauver la sculpture était de recommencer à tailler directement dans la pierre, raconte Jacques Lipchitz.
L’Oeil, n°541, « Modigliani, la chute d’un ange »
Montaigne
« Voici merveille : nous avons bien plus de poètes, que de juges et interprètes de la poésie. Il est plus aisé de la faire que de la connaître. A certaine mesure basse, on la peut juger par les préceptes et par art. Mais la bonne, l’excessive, la divine est au-dessus des règles et de la raison. Quiconque en discerne la beauté d’une vue ferme et rassise, il ne la voit pas, non plus que la splendeur d’un éclair. Elle ne pratique point notre jugement; elle le ravit et ravage. »
Les Essais
Fernand Pouillon
« Tout artiste agissant, a, dans sa mine de plomb, son pinceau, son burin, non seulement ce qui rattache son geste à son esprit, mais à sa mémoire. Le mouvement qui paraît spontané est vieux de dix ans ! trente ans ! Dans l’art, tout est connaissance, labeur, patience, et ce qui peut surgir en un instant a mis des années à cheminer. »
Les Pierres Sauvages
« Créer est comme le déclenchement de la témérité au moment de l’action d’éclat. La timidité ne produit rien de bon, or les timides sont légion. Ils pensent à eux, aux autres, au qu’en dira t-on. Ils se demandent s’ils seront assez originaux, assez dans le mouvement. Ils ne font pas ce qui leur plaît. Le créateur pusillanime à l’oeil critique dit : non, ce n’est pas assez, non, c’est trop. Ce trop, ce pas assez, doit contenter, flatter, être l’âme, c’est beaucoup lui demander. On trace de la main droite en retenant de la main gauche, on a l’oeil de l’oeil, c’est trop d’yeux. Le courage sera d’être soi, en toute indépendance, d’aimer ce que l’on aime, de trouver le tréfond de ses sensations. L’oeuvre ne peut être imitée, associée, mais solitaire, saine, pure. Elle part du coeur, de l’intellligence, de la sensibilité. L’oeuvre réelle est vérité directe, honnête. C’est dire simplement son savoir à tous. »
Les Pierres Sauvages
Rodin
« C’est qu’en effet aucune inspiration subite ne saurait remplacer le long travail indispensable pour donner aux yeux la connaissance des formes et des proportions et pour rendre la main docile à tous les ordres du sentiment. Et quand je dis que le métier doit se faire oublier, mon idée n’est point du tout que l’artiste puisse se passer de science. Au contraire, il faut posséder une technique consommée pour dissimuler ce qu’on sait. Sans doute, pour le vulgaire, les jongleurs qui exécutent des fioritures avec leur crayon ou qui confectionnent d’étourdissantes pyrotechnies de couleurs ou qui écrivent des phrases émaillées de mots bizarres, sont les plus habiles gens du monde. Mais la grande difficulté et le comble de l’art, c’est de dessiner, de peindre, d’écrire avec naturel et simplicité. »
L’Art
« En somme, la Beauté est partout. Ce n’est point elle qui manque à nos yeux, mais nos yeux qui manquent à l’apercevoir. »
L’Art
« L’Art n’est que sentiment. Mais sans la science des volumes, des proportions, des couleurs, sans l’adresse de la main, le sentiment le plus vif est paralysé. Que deviendrait le plus grand poéte dans un pays dont il ignorerait la langue ? Dans la nouvelle génération d’artistes, il y a nombre de poètes qui, malheureusement, refusent d’apprendre à parler. De la patience ! Ne comptez pas sur l’inspiration. Elle n’existe pas. Les seules qualités de l’artiste sont sagesse,attention, sincérité, volonté. Accomplissez votre besogne comme d’honnêtes ouvriers. »
L’Art
« Quand un bon sculpteur modèle des corps humains, il ne représente pas seulement la musculature, mais aussi la vie qui les réchauffe. »
Saint-Exupéry
« Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. »
Terre des Hommes
« Tu la connais, ta vocation, à ce qu’elle pèse en toi. Et si tu la trahis, c’est toi que tu défigures, mais sache que ta vérité se fera lentement, car elle est naissance d’arbre et non trouvaille d’une formule, car c’est le temps d’abord qui joue un rôle, car il s’agit pour toi de devenir autre et de gravir une montagne difficile. »
Citadelle
Tabbuchi
« La fontaine de Trevi ou le Colisée ne sont pas seulement importants parce qu’ils sont, mais parce qu’il y a des yeux pour les regarder. Bien sûr, ces monuments ont continué d’exister pendant la période fasciste ou sous l’occupation nazie, mais quand il n’y a plus personne pour les voir à leur juste valeur, ils perdent de leur sens. La sensibilité à la beauté appartient à un moment de l’histoire et non au patrimoine génétique d’une personne. Elle est culturelle, il faut donc l’enseigner. »
Le Monde 2, n°1011, « Berlusconi a abaissé le niveau de l’esthétique » (interview d’Antonio Tabucchi par Mme Raphaëlle Révole)
Verlaine
« Ce qu’il nous faut, à nous, c’est, aux lueurs des lampes,
La science conquise et le sommeil dompté,
C’est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,
C’est l’Obstination et c’est la Volonté !
C’est la Volonté sainte, absolue, éternelle,
Cramponnée au projet comme un noble condor
Aux flancs fumants de peur d’un buffle, et d’un coup d’aile,
Emportant son trophée à travers les cieux d’or !
Ce qu’il nous faut, à nous, c’est l’étude sans trêve,
C’est l’effort inouï, le combat nonpareil,
C’est la nuit, l’âpre nuit du travail, d’où se lève
Lentement, lentement, l’Oeuvre, ainsi qu’un soleil ! »
Les Poèmes Saturniens (extrait de l’ « Epilogue »)